Il est des êtres pour qui la question d'être apparenté à tel ou tel courant ne se pose pas. Pas spécialement une révolte, non, simplement, la question ne s'est jamais posée en termes de figure à vénérer pour avancer dans un art. Car l'autonomie est déjà là pour celui qui sent qu'il peut avancer avec son don sans avoir besoin de le comparer à qui que ce soit.
S'immerger dans la féérie de la fusion du métal suffit à Patrice. Selon ses dires, les traces devraient parler d'elles-mêmes. Et effectivement, elles parlent.
Ces traces révèlent trois stades d'évolution, trois métamorphoses qui dessinent un parcours artistique unique, hors chronologie.
Un premier stade fut celui de l'assemblage. On découvre alors tout l'humour qu'on peut insuffler à un écrou, un boulon, une simple torsion, et l'expression surgit : figurines, piano, batterie, réalistes et minutieux déjà.
Mais rapidement, le problème de la limitation des volumes se pose. Assembler une plaque de tôle devient contraignant pour qui cherche autre chose de plus fluide, d'élancé. Un défi se dessine pour ce soudeur déjà chevronné : comment transcender la contrainte de l'assemblage ?
La réponse vient avec le deuxième stade. Le fini apparaît mieux dans la veine animalière et botanique. Il ne s'agit plus d'assemblage désormais : la soudure seule, pleine et entière, intervient pour constituer une tortue, un papillon.
Traitée de diverses manières, cette "colle en fusion" permet de développer un aspect grumeleux comme le granit ou lisse comme un fuselage. Texture, volume... Patrice venait de rencontrer son matériau idéal : la soudure seule, bien au-delà de l'humble cordon, la soudure brute devenue matière première de l'art.
Les formes seules se dégagent à présent, épurées, passées au tamis du "naïf" et du "naturaliste". Elles touchent au symbole naturel reconnaissable par tous : l'œil et sa larme, une corne d'abondance... Parfois marbre et inox se croisent dans un dialogue inédit. Ce champ d'exploration semble infini.
Ainsi se dessine une évolution : d'un art naïf initial vers une veine animalière et naturaliste, pour aboutir à un courant symboliste de plus en plus affirmé.
S'il faut évoquer les influences qui nourrissent cette œuvre, Patrice se réfère à deux lieux fondateurs en Espagne : le Monastère de Piedra et la Cité Enchantée. Il ne tarit pas d'éloges sur ces sites où des concrétions de toute beauté émergent du sol, produites par l'érosion millénaire.
Qui peut évaluer les canaux mystérieux que prend l'inspiration ? Effectivement, la soudure peut parfois épouser les allures de stalactites, révélant cette parenté secrète entre l'art et les forces géologiques.
Une pièce comme le Moaï en témoigne parfaitement : visage de pierre de l'Île de Pâques réinventé dans la matière contemporaine, où résonne l'écho des civilisations anciennes.
Cela tient à peu de choses pour qu'un talent se manifeste dans les meilleures conditions. Il faut que l'artiste rencontre son canal privilégié, celui avec lequel il entre en résonance parfaite.
Il aura fallu une reconversion professionnelle pour que Patrice quitte la pâtisserie - univers dans lequel il évoluait pourtant harmonieusement - et découvre la soudure. Cette attirance pour la lumière qui jaillit du bain de métal l'avait toujours fasciné, comme un appel secret.
L'adaptation fut si naturelle que son métier devint également sa passion. Le pouvoir de réaliser des objets divers évolua rapidement vers des assemblages multiples au gré de sa fantaisie : instruments de musique miniatures, créatures oniriques...
Plus tard, cet au-delà des assemblages lui donnera la réponse qu'il cherchait : la fluidité, si difficile à obtenir avec plaques, tubes ou boulons. La soudure seule, la soudure brute lui suffira désormais pour façonner ses futures créations.
Libération !
Cette soudure inox, servant ordinairement à assembler des fragments de tubulure grâce au fameux cordon tiré au cordeau, devient sous ses mains un matériau privilégié. C'est comme si l'on décidait de créer des sculptures avec la colle destinée au papier peint, ou comme si le fil assemblant les tissus suffisait à lui seul pour former le volume.
Cette analogie révèle l'audace de la démarche : transformer l'outil en essence même de l'œuvre.
À présent, fort de ces diverses explorations formelles et maître de sa technique, Patrice évolue vers des pièces à message accessibles à tous. Le titre de chaque œuvre est généralement assez éloquent pour que chacun puisse se l'approprier.
Simplicité, épurement : tout artiste authentique tend à raffiner son vocabulaire personnel pour ne garder que l'essentiel. Cette quête de la synthèse parfaite entre forme et sens caractérise la maturité artistique.
Si effectivement les pièces parlent d'elles-mêmes, Patrice aura rempli sa mission d'artiste. Plus libre que jamais de retourner à sa fascination première : l'inox en fusion.
Homme et matériau, les deux se sont trouvés. Ce genre de rencontre, c'est pour la vie.
"Le métal parle, la couleur raconte" : cette devise résume parfaitement une approche où la technique se met au service de l'émotion, où l'innovation nourrit la tradition sans jamais la renier.
Dans l'atelier de Bayonne, chaque sculpture naît de ce dialogue permanent entre l'artiste et la matière, entre la maîtrise technique et l'inspiration pure. L'art FUSION'ART ne copie pas, il révèle. Il ne décore pas, il interroge. Il ne séduit pas seulement, il transforme le regard.
Texte de Norbert Bodan